Que se passe-t-il en Libye depuis la mort de Kadhafi ?

Si la Libye revient dans l’actualité avec l’ouverture du procès dans l’affaire des financements libyens présumés de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, cela nous permet de nous poser la question sur l’état du pays, presque quinze ans après la chute du régime autoritaire de Mouammar Kadhafi. 

De l’empire Ottoman à Kadhafi

En 1911, lors de la guerre italo-turque, l’empire Ottoman perd ses territoires nord-africains à la faveur de l’Italie. La Libye en fait partie et amorce une quarantaine d’années sous domination des grandes puissances qui se trouvent de l’autre côté de la Méditerranée. D’abord en tant que colonie de l’Italie à partir de 1911, puis sous administration française et britannique au sortir de la seconde guerre mondiale. Ces dernières vont, dans les années qui suivent, accepter des pourparlers permettant l’indépendance d’une partie du pays, jusqu’à la promulgation d’une constitution en 1950 plaçant au pouvoir un roi, Idris 1er, relativement contrôlé par les britanniques. 

C’est sous ce royaume que la Libye découvre son immense richesse, en pétrole notamment. Alors que les forages par des compagnies pétrolières étrangères débutent, s’octroyant au passage 50% des revenus, des opposants au régime commencent à s’organiser jusqu’au coup d’État de 1969 qui fait chuter Idris 1er au profit de Mouammar Kadhafi. S’ensuivent plus de quarante années d’un régime dictatorial où “Le Guide de la Révolution” va gouverner seul de manière déroutante, s’attachant au pouvoir par de nombreuses combines, tantôt par une défiance aux puissances occidentales par des attentats, notamment celui contre un avion de ligne français en 1989, tantôt par des rapprochements avec l’occident après 2001. Sa chute lors de la première guerre civile libyenne au printemps arabe (2011) était donc porteuse d’un espoir démocratique. 

Vers la démocratie ?

Le 20 octobre 2011, Kadhafi est assassiné dans une opération orchestrée par l’OTAN. Le 23 octobre, le président du Conseil National intérimaire de Transition (CNT), Moustapha Abdel Jalil, proclame la libération de la Libye. Le 24 octobre, Jalil annonce son souhait d’établir la charia, de quoi refroidir la communauté internationale, qui n’est pas au bout de ses peines, bien qu’elle soit grandement responsable du désordre qui va suivre. Nous y reviendrons. 

L’année 2012 est marquée par la division du pays, puisque la Cyrénaïque, région à l’est du pays, proclame son autonomie. Cela n’empêche pas la tenue d’élections législatives quelques mois plus tard, qui se trouve être la première élection démocratique de l’histoire de l’État libyen. Par ailleurs, cela se traduit par beaucoup de désordre et d’improvisation. La constitution n’étant pas encore écrite, les débats parlementaires et la passation de pouvoir se déroulent dans un hôtel de Tripoli. Bien que la forme soit confuse, le fond est historique et porteur d’espoir puisqu’il s’agit de la première passation de pouvoir pacifique de l’histoire du pays. 

Cependant, en arrière-plan de ces avancées, de nombreuses milices s’organisent pour récupérer des points stratégiques du pays, notamment la capitale Tripoli et les gisements de pétrole en Cyrénaïque. Parmi ces milices, nous trouvons notamment la milice privée du général rebelle Haftar, mais aussi des milices salafistes et des mouvements locaux. Une escalade de la violence marque cette période et mène à la guerre civile, en 2014. Celle-ci se caractérise par des assassinats, des enlèvements, des blocages d’installations pétrolières et des attentats contre le consulat américain de Benghazi notamment. C’est dans ce contexte que le premier ministre est destitué et fuit le pays, il lui est reproché son manque d’apport sécuritaire au pays et de contrôle sur les installations pétrolières. 

Dans cette période de chaos, l’État Islamique prend de l’ampleur dans la région. Pour répondre à cet enjeu, le général Haftar lance une opération appelée “Dignité” qui consiste en un combat contre les milices terroristes. Par cet engagement, il s’attire les soutiens de puissances périphériques majeures telles que les Émirats Arabes Unis (EAU), l’Égypte ou encore la France qui souhaite limiter les risques liés au terrorisme. De cette manière, il devient l’homme fort de la Cyrénaïque grâce à des victoires majeures dans la région. 

En 2016, les Nations unies tentent tout de même de mettre en place un gouvernement d’union nationale avec à sa tête Fayez el-Sarraj.  Mais Haftar refuse de reconnaître ce gouvernement, ce qui pose question sur ses réelles intentions dans ses combats contre le terrorisme. Ceux-ci seraient un prétexte pour financer sa conquête du pouvoir. Des doutes qui vont se confirmer en 2019 lorsqu’il prendra d’assaut Tripoli, cœur du pouvoir démocratique. Une attaque qui ne portera pas ses fruits mais qui ne lui fera pas non plus perdre son influence sur le reste du territoire. La Libye se trouve donc coupée en deux, d’une part le pouvoir de Sarraj à l’ouest, soutenu par la communauté internationale dont la France, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, de l’autre, le général Haftar et son propre gouvernement soutenu par ses milices et pays alliés (Égypte, Émirats arabes unis et France). Ce sont donc deux parlements et deux armées qui se disputent le territoire. Aujourd’hui, un cessez le feu existe et est respecté, bien que des mouvements de l’armée d’Haftar au sud et à l’ouest de Tripoli ne continuent de mettre la pression sur son pouvoir. 

Les ingérences étrangères au coeur du conflit

Le contexte économique, social et politique de la Libye est jonché d’agents corrosifs et la communauté internationale, bien qu’ayant (en apparence) une volonté d’aider le pays à se reconstruire, ne fait que jeter de l’huile sur le feu pour protéger ses intérêts. Parmi ces puissances étrangères, la France fait partie des plus ambigües, il suffit de relire le paragraphe ci-dessus pour s’en apercevoir.

Ces ingérences existent depuis toujours et dans le contexte actuel, elles commencent dès la mort de Kadhafi qui est organisée par les forces de l’OTAN. Aujourd’hui, nous savons que les bombardements qui visaient à tuer le dictateur en 2011 étaient orchestrés par les occidentaux. Mais Kadhafi a survécu à ces bombardements et, bien qu’il ait été retrouvé et lynché par les rebelles, nous ne savons toujours pas qui lui a porté le coup fatal. Ceci, conjugué au fait que les résidences de l’ancien leader libyen aient été bombardées, pousse à une question : l’OTAN voulait-elle vraiment juger Kadhafi ? En cette période d’ouverture du procès de Nicolas Sarkozy dans l’affaire des financements de campagne libyens, la question de la volonté de faire taire tous les témoignages possibles pouvant prouver cette thèse par la France est possible. Ceci est corroboré par un rapport du parlement britannique en 2016. Celui-ci affirme que les raisons annoncées par la France et les britanniques pour bombarder la Libye étaient fausses. Un autre rapport britannique affirme que ce serait la France (toujours présidée par N. Sarkozy) qui aurait poussé pour passer à l’offensive en 2011. 

Depuis, chaque mouvement qui tente d’exercer un quelconque pouvoir dans le pays est systématiquement soutenu par des puissances étrangères. Ainsi, lorsque Haftar prend place dans l’est du pays, il est soutenu par les EAU, l’Égypte et la France. Lorsqu’un nouveau pouvoir démocratique est mis en place à Tripoli, ce sont les Nations Unies qui sont aux manettes. Lorsque Haftar attaque Tripoli en 2019, c’est majoritairement la Turquie qui aide à repousser l’offensive. Depuis, c’est la Russie qui se rapproche du général libyen. Alors qu’est-ce qui explique cette ingérence ? 

  1. Les ressources énergétiques

Classée 7e nation la plus riche en pétrole dans le monde et première en Afrique, la Libye vit sur un trésor qui alimente la quasi-totalité de son économie. Les gisements sont contrôlés par des milices, ce qui leur donne une grosse force de frappe car elles sont en mesure de couper les extractions et faire pression sur le pouvoir, situation qui s’est souvent produite ces dernières années. Ces milices font partie du camp du général Haftar et lorsqu’un pays comme la Russie s’intègre via ses propres milices, il a la possibilité d’avoir la main sur ces gisements et, si ce n’est pour extraire (bien qu’il soit possible d’importer du pétrole libyen illégalement), il peut au minimum faire pression sur le pouvoir par une arme économique puissante. 

Le fait que deux pouvoir se disputent le contrôle de l’État et des gisements de pétrole fait que l’exportation illégale de pétrole est en hausse. Par ailleurs, le 16 janvier 2025, l’ONU a reconduit jusqu’en 2026 “les mesures visant à lutter contre les exportations illicites de pétrole en Libye”. Cette mesure a été votée à l’unanimité par le conseil de sécurité, sauf une abstention : la Russie. 

Aperçu des règles régissant l’exportation de pétrole.

Dans le cas de la Libye, les infrastructures qui légifèrent sur le pétrole sont : 

  • La National Oil Corporation (NOC) libyenne, elle est l’unique autorité habilitée à produire, vendre et exporter du pétrole. Tout ce qui sort de ce cadre est illégal. 
  • L’ONU se donne également le droit d’établir des mesures, notamment la résolution 2146, et des sanctions pour empêcher les exportations illicites de pétrole depuis la Libye
  • Le droit maritime établit des règles sur les transports de pétrole auxquels les pétroliers doivent répondre, tant sur le transport que sur la production. 
  1. Les flux migratoires 

À l’été 2024, le gouvernement libyen d’unité nationale (GUN) organise un Forum sur les migrations transméditerranéennes à Tripoli. L’objectif est clair : mettre en lumière les problématiques liées aux flux migratoires au nord de l’Afrique, et plus particulièrement en Libye. Ceci est illustré par Abdel Hamid Dbeibah, premier ministre du GUN, qui annonce lors de ce sommet que 750 000 personnes seraient entrées illégalement dans le pays entre le début de l’année 2024 et juillet 2024 et un million de soudanais seraient arrivés depuis le début de la guerre civile en avril 2023. 

Ces chiffres sous-entendent donc une surcharge au niveau des frontières mais aussi dans les centres de détention. Si tous ces réfugiés se trouvent en Libye, c’est parce qu’elle représente la dernière étape avant de partir pour l’Europe et notamment l’Italie, raison pour laquelle Giorgia Meloni, présidente du conseil italien était l’invitée de marque de ce forum. En effet, le pouvoir italien agit en collaboration avec la Libye pour tenter de réguler l’afflux de migrants qui rejoignent le sud de la Botte, parfois au détriment des droits humains. 

En 2017 était signé un accord entre l’Italie et la Libye visant à soutenir le pays nord-africain dans leurs interceptions de réfugiés en mer et ensuite les placer dans des centres de détention. Des centres de détention tristement célèbres pour leur non-respect des droits humains. Des témoignages de détenus pour Médecins sans Frontières parlent de fers aux chevilles et poignets, de coups de bâton en métal ou de couteau. En effet, lorsqu’ils arrivent en Libye, les réfugiés ont plusieurs issues possibles, mais les plus courantes sont, soit d’être interceptés en mer et placés en cellule, soit d’être capturés par des trafiquants de migrants, torturés, utilisés comme monnaie d’échange, voire exploités comme des esclaves. En 2021, une mission d’enquête de l’ONU a conclu que ces actions constituaient des crimes contre l’humanité. Ces centres de détention, bien qu’entrant dans le cadre du texte signé en 2017 ne dérogent pas à cette règle. En effet, le 1er septembre dernier, mourrait “Bija”, un trafiquant d’êtres humains important en Libye, qui profitait des moyens italiens pour capturer des réfugiés en mer et les rapatrier en centres de détention pour en faire ce que nous avons détaillé précédemment. Il se trouve que, grâce à une enquête du journaliste sicilien Nello Scavo, nous savons aujourd’hui que “Bija” faisait partie d’une délégation libyenne qui s’est déplacée dans un centre d’accueil italien quelques mois avant la signature de ce fameux traité. Bien que les Nations Unies décident de le placer sous sanction, l’Italie n’admet pas avoir travaillé en collaboration avec le trafiquant et, bien qu’il ait été emprisonné en 2020, d’où il sort en 2021 en étant nommé directeur de l’académie navale de Tripoli. Sa mort en 2024 engloutit tous ses secrets six pieds sous terre et nous n’aurons probablement jamais le fin mot de cette histoire, mais le peu d’information que nous ayons permet de faire une idée de ce qu’il se passe réellement dans la relation entre Libye et Italie sur ce sujet majeur. 

Aujourd’hui, la Libye est un état meurtri et plus que jamais divisé, avec peu de perspectives d’évolution vers la paix et la démocratie.